La poésie nous relie

Bus Paris-Strasbourg. Je m'assois à côté d'un jeune homme. Nous nous saluons." Il fait chaud ". La conversation s'engage." J'écris de la Poésie". " Vous connaissez Mahmoud Darwich?". " Oh Oui, je le récite par cœur ". Issam est syrien. Nous parlons. De l'essentiel. Avec le cœur. Il me raconte. Damas. 2013. La déflagration énorme. Il sort du lycée. Il prend à gauche. Ses quatre amis à droite. Il marche sur des corps. Des hommes tirent. Pourtant il a un uniforme de lycéen. Il longe les murs en pensant à son père. La maison. Enfin. Ses quatre camarades n'ont pas réussi à rentrer. Hagard. Triste. Non c'est un sentiment qui n'a pas de mot. Issam arrête les cours. Il se retire dans la ferme familiale à Kifraya où pendant un an il ne parle pas. Il écrit de la poésie. 

Un jour devant les larmes de son père, il comprend. Il reprend l'école. En un seul mois, il apprend apprend apprend. Il obtient son bac. Aujourd'hui Issam est étudiant à Strasbourg. Il écrit tous les jours. Il n'y a jamais de hasard. Je sais pourquoi j'ai choisi ce siège. La poésie nous relie. Définitivement. En chemin, il me montre un poème écrit en Arabe. Ensemble. Sur la route qui défile. Nous le traduisons. Nous le travaillons. Cinq heures de discussion. Ivres de poésie ! Je le partage avec vous ici sous son approbation émue :

 

Route vers la survie

 

Ô nuit qui s'attache à moi

Comme le sein de ma bien-aimée 

Abandonne-moi 

Ô pays bien aimé

Et l'injustice

Abandonne-moi 

Mes souvenirs 

Caniveaux où nagent 

Les algues !

Mon enfance est de velours 

Fer, radiation

Le temps des armes à feu

Mon village est une cascade

De martyrs

Et la pauvreté

Abandonne-moi 

Ô peuple de la Terre 

Médias, politiciens

Ô agents de la mort

Abandonnez-moi

Je ne prendrai pas la route

de la survie avec vous

Le fantôme de ce vieil homme me hante

Dans ma colère

Dans ma plainte 

Dans mon tourment

Voyez-le 

Assis en train de pleurer

Ses yeux durcis

Et ses cils plus durs

Que tous les ciseaux

Et ses mains qui sont invitées à prier

Les profondeurs de son chagrin sanglant ont inondé mes rêves

Comment puis-je le laisser et partir ?

Et qui retrouvera son fils 

Si je pars ?

Et moi qui guérira mon âme ?

Venez, vieil homme, asseyons-nous près

du sanctuaire de jasmin

ou sous les décombres 

du minaret 

Hors du crime

Nous éléverons nos griffes

Adossés sur l'épave d'un arbre

Tout le monde fuit le brasier

Il n'y a plus que nous

Dans cet enfer

Silencieusement 

Entrelacés

 

Issam part demain pour passer l'été aux côtés de ses parents en Syrie. Il n'y a plus d'aéroport. Là-bas. Il prendra un vol de Francfort à Beyrouth où un chauffeur de confiance l'attendra pour rouler jusque Tartousse. Il faudra attendre le jour pour passer la frontière. Il va apporter le livre de la Poésie Vagabonde à sa mère et son père qui est poète. Mon cœur bat. Fort. Oui mon cœur. Mon âme y sera. Dans quelques jours. Avec toi. Là-bas.